La première erreur que vous ferez en jouant à Into the Breach sera probablement de le lancer en mode normal alors que vous ne connaissez encore rien de ses mécaniques. La seconde erreur sera sans doute de prendre une décision hâtive quelques minutes plus tard et de vous confronter à un Game Over ou à l’envie de relancer une nouvelle partie. Rassurez-vous : vous allez faire encore beaucoup d’erreurs.
Les géants de fer
Into the Breach, c’est l’histoire de pilotes de mechas voyageant d’une timeline à une autre pour sauver ce qu’il reste de la Terre contre l’emprise grandissante des Vek, des ennemis insectoïdes sortis de terre et autant de kaijū que l’on imaginerait sortis d’un vieux film Godzilla. Into the Breach c’est aussi un T-RPG se déroulant dans un univers futuriste. Mauvaise nouvelle pour les fans de Fire Emblem ou d’Advance Wars, votre expérience de général de guerre ne vous sera d’aucune aide puisque le jeu s’amuse à tordre une à une les règles classiques du genre.
La première chose qui vous frappera sera certainement la taille fixe et très condensée du terrain : un carré de huit cases de long. Cela peut sembler peu, mais c’est finalement exactement ce qu’il faut pour faire tenir votre escouade de trois mechas, des objectifs à protéger, quelques adversaires et des terrains spéciaux. On imagine que Subset Games a passé un temps considérable à prototyper son jeu pour obtenir un théâtre de guerre aussi réduit que vivant, assez grand pour qu’on ne s’y sente pas à l’étroit et suffisamment ramassé pour que toutes les informations utiles soient visibles et lisibles. Pour soutenir cette lisibilité, le jeu bénéficie d’une direction artistique réussie. Les animations sont dynamiques, la palette graphique de bon goût et les sprites des unités toujours soignés.
Le second effet kiss cool, c’est un aspect roguelike, tout droit hérité de FTL: Faster Than Light, le précédent jeu du studio Subset Games qui n’a jamais été porté sur console. Selon vos choix, vos succès et vos échecs, une partie d’Into the Breach durera entre quelques dizaines de minutes et quelques heures. Une fois le monde sauvé ou perdu, vous conserverez l’expérience et les bonus d’un de vos pilotes avant de revenir à la case départ.
Chaque run consiste en une succession d’îles dont l’ordre est imposé dans un premier temps, mais libre par la suite. Chaque île est découpée en régions à sauver et chaque région vous permettra de remporter des bonus en fonction du nombre d’objectifs accomplis : détruire un barrage, protéger un train, récupérer une capsule tombée du ciel etc. À vous d’évaluer ce qui vous fait le plus défaut, de prendre des risques aux moments opportuns et d’amasser un maximum de ressources. Il vous faudra compléter au minimum deux des quatre îles disponibles avant d’accéder à la mission finale.
Quand Pacific Rim rencontre les échecs
Chaque bataille se déroule en quelques tours et chacun d’eux se déroule en trois phases principales. D’abord les ennemis se déplacent et annoncent les objectifs attaqués, puis le joueur déplace ses unités et lance son offensive et enfin les ennemis attaquent. Lorsque c’est à vous d’agir, vous pouvez consulter le détail de chaque unité (ordre d’attaque, dégâts, description d’un effet) et vous avez tout le loisir de déplacer vos unités avant de faire feu. Attention cependant, une attaque validera systématiquement les déplacements précédemment effectués. Si après coup vous réalisez que vous allez droit au casse-pipe, vous aurez la possibilité une fois par bataille de réinitialiser le tour courant. Une chance qu’il ne vaudra mieux pas gaspiller.
L’un des aspects les plus originaux du jeu est sa gestion de la santé. D’un côté, vous avez vos mechas et leurs quelques points de vie. Si cette barre de vie tombe à zéro, votre unité sera inutilisable jusqu’à la fin de la bataille, vous perdrez son pilote (et les bonus qui lui sont associés), mais au début du combat suivant chaque robot aura refait le plein d’énergie. De l’autre côté, vous avez la grid, une barre de vie que vous conserverez tout au long de la partie. En accomplissant certains objectifs, sa valeur ira à la hausse, mais chaque fois qu’un bâtiment à protéger subira des dégâts, votre grid fondra comme neige au soleil. Si votre grid est vide, c’est perdu pour cette fois.
Avec cette gestion si particulière de la santé, on comprend vite que l’important n’est pas tant d’éliminer tous les adversaires à l’écran. Ici, il faut plutôt encaisser les assauts, tenir bon pendant quelques tours et surtout protéger les points sensibles, quitte à faire tampon avec vos mechas. Pour vous aider dans votre tâche, la plupart de vos attaques pourront influencer le positionnement d’une ou plusieurs cibles, le plus souvent en les poussant vers une case adjacente. Après quelques heures de jeu, vous serez habitué à cet aspect crowd-control et vous ne trouverez rien d’étonnant à déplacer un adversaire plutôt que de lui faire subir des dégâts ou à tirer sur un de vos alliés pour provoquer une réaction en chaîne éliminant plusieurs Vek d’un coup. En ça, on pourrait presque comparer Into the Breach aux échecs, il faut toujours analyser la situation, pondérer l’importance de chacune des pièces et ne pas forcément se précipiter sur une cible facile.
L’art de la guerre
Dans Into the Breach, vous êtes votre pire ennemi. Un excès de confiance ? Et voilà qu’on oublie de réparer l’unité qui va trépasser quelques secondes plus tard ! Un moment d’inattention ? Et c’est un robot qui part en fumée sous un bombardement pourtant clairement annoncé ! Et ne comptez surtout pas sur la chance pour venir rattraper vos erreurs. Ici, un tir atteindra toujours sa cible et aucun coup critique ne vous permettra de doubler vos dégâts pour vous sauver la mise. Ce qui doit arriver arrivera. Tout au plus, les bâtiments alliés ont un (faible) pourcentage de chance de résister aux attaques qu’ils subissent.
Pour toutes ces raisons, chaque victoire vous procurera la petite dose de dopamine qui vous donnera envie d’y replonger. Le revers de la médaille c’est qu’Into the Breach peut s’avérer épuisant malgré le soin apporté à chaque mécanique. De par sa construction, il vous mettra constamment sous pression et sur la défensive. Quand bien même vos possibilités tactiques ne feront qu’évoluer, le principe de base ne disparaîtra jamais : vous allez devoir réagir aux attaques annoncées de vos ennemis. À chaque tour il faudra veiller au bon placement et à la vie de vos unités, aux bâtiments alliés, aux missions secondaires, aux positions de vos adversaires et, ne l’oublions pas, aux dégâts que vous allez infliger. Une décision prise à la légère pourra toujours se solder par un Game Over quelques tours plus tard et rarement vous aurez le sentiment de rouler sur vos adversaires (si tel est le cas, il sera probablement temps de monter la difficulté d’un cran). Si cela ne suffit pas, un système d’achievements vous donnera aussi quelques idées supplémentaires d’actions à réaliser durant vos batailles.
En enchaînant les succès, vous allez débloquer petit à petit d’autres escouades qui s’ajouteront à celle disponible d’entrée de jeu. Chaque trio de mécha représente une nouvelle façon d’aborder les combats, une nouvelle stratégie de guerre à découvrir et, forcément, de nouvelles subtilités apprises à grand coup d’échecs cuisants. Et si vous n’en avez pas encore assez, sachez qu’il est aussi possible de former votre trio en sélectionnant trois unités parmi celles disponibles. Le nombre de possibilités tactiques devient alors tout bonnement vertigineux.
Un sans faute ou presque
Clou du spectacle, la bande-son proposée par Ben Prunty est un régal pour les oreilles. Au fil des heures, elle ne fatigue jamais le joueur et renforce totalement la personnalité du jeu. Les envolées jouées au violoncelle accompagnent merveilleusement bien les notes plus électro, les cordes étouffées à la guitare électrique – omniprésentes – soutiennent parfaitement l’ensemble. Le résultat est suffisamment discret pour ne jamais venir perturber votre concentration, mais reste toujours dynamique. Parfois, la musique renforcera la tension, à d’autres moments elle apportera une aura épique à certaines scènes. En somme, on est plongé dans le combat et chaque mandale donnée par nos petits tas de pixels prennent une ampleur folle.
N’oublions pas cependant qu’Into the Breach est un jeu sorti à l’origine sur PC et que la question de la qualité du portage se pose légitimement. Et bien là encore, on ne peut que saluer le travail réalisé. Côté contrôle, le jeu obéit au doigt et à l’œil et les commandes sont claires. J’avais eu l’occasion de m’essayer au jeu sur PC et je n’ai pas déploré la moindre perte d’efficience. Pour ce qui est de la technique, que ce soit en mode tablette ou en mode docké, le jeu est d’une stabilité exemplaire et aucun temps de chargement n’est à signaler. On apprécie particulièrement l’ajout d’options permettant d’augmenter légèrement la taille du texte, un luxe que beaucoup de portages oublient au prix de textes minuscules à l’écran. Au final, seul l’espoir de voir apparaître des contrôles tactiles n’est pas au rendez-vous, mais on n’est pas vraiment certain que cela aurait été plus confortable qu’à la manette.
Tant que l’on en est à chipoter, tâchons de trouver quelques menus détails à critiquer. Pour commencer, le jeu ne possède pas de traduction française. Heureusement, il est très peu bavard et ne vous précipite jamais dans vos prises de décision. Du côté de la lisibilité de l’interface, lorsque le terrain est surpeuplé la carte pourra donner l’impression d’être noyée sous les indicateurs, mais généralement, si vous en arrivez là, c’est probablement que la fin de votre trio est proche. Enfin, les plus gourmands auraient sans doute aimé un peu plus de variété dans le bestiaire voire carrément une ou deux îles supplémentaires pour apporter encore plus de diversité. Pour être franc, on ne serait pas étonné qu’une extension finisse tôt ou tard par faire son arrivée, mais le contenu de base est plus qu’honorable et pourra facilement vous occuper plusieurs dizaines d’heures.
Notes
Conclusion
Exigeant, mais jamais injuste. Beau, mais jamais au détriment de la lisibilité. Clair, mais sans oublier d’être gratifiant. Into the Breach est un bijou de game design qui parvient à retourner une à une les conventions classiques des Tactical RPG à l’aide d’idées bienvenues qui se déclinent en autant de stratégies.
Maintenant que le jeu est disponible sur Nintendo Switch, il serait vraiment dommage de s’en priver. D’une part le portage est de qualité, d’autre part le jeu se prête aussi bien à des sessions courtes qu’à des nuits entière à se gratter le menton en se demandant quel est le mouvement parfait à réaliser. Au final, la pire erreur que vous pourriez faire avec Into the Breach, ce serait de passer à côté.
Review réalisée sur la version 1.1.14 du jeu.
Into the Breach est disponible sur l’eShop de la Nintendo Switch depuis le 28/08/2018 pour 14,99€.